
Source : Yves Labrèche
Nadège Tuo est née en 1984 à Abidjan, le principal centre urbain de la Côte d’Ivoire. Elle vient d’une grande famille. Ils sont six enfants du côté de son père et et trois du du côté de sa mère.

Source : Jean Luc HABIMANA, Wikipedia, https://en.wikipedia.org/wiki/Abidjan#/media/File:ABIDJAN.jpg
Nadège passe son enfance à Bouaké, la deuxième plus grande ville de la Côte d’Ivoire. Son père est professeur d’anglais. Nadège fait ses études primaires à Bouaké et étudie là jusqu’à la fin de ses études secondaires.

Source : Wikipedia (2016) https://en.wikipedia.org/wiki/Bouak%C3%A9
La mère de Nadège déménage en France, dans la région parisienne vers 1995-1996. Nadège demeure avec son père et certains de ses frères et sœurs en Côte d’Ivoire. En 2013, une des sœurs de Nadège va la rejoindre par le biais de Campus France, ayant fait une partie de ses études en Algérie. Par la suite, elle retournera en Côte d’Ivoire.
Nadège quitte Bouaké en 2002, car «…c’est là que la guerre a éclaté. Donc après, on s’est déplacé vers Abidjan. »
En 2004, Nadège termine son secondaire dans cette ville avec une spécialisation en sciences (mathématiques, sciences naturelles et physiques). La Côte d’Ivoire est encore en situation de guerre civile et « donc ce n’était pas propice à faire des études. » Nadège veut quitter le pays ; elle veut étudier et travailler à l’étranger. À l’âge de 19 ans, elle obtient un visa étudiant et part ainsi vers la France, où elle va habiter avec sa mère. C’est la première fois depuis longtemps qu’elles habitent ensemble.
Nadège arrive en France à la fin d’octobre 2004 et reste quelques temps chez sa mère à Bondy, une banlieue au nord-est de Paris qui comprend une forte concentration d’immigrants. Nadège explique les étapes pour venir étudier en France de la Côte d’Ivoire :
« …j’avais un visa d’études, parce que j’avais déposé mon dossier dans cette école [à Magnanville]. Et c’est après analyse, quand l’école m’a accepté, que j’ai pris cette autorisation pour demander le visa. Après, d’autres étudiants passent par un circuit, appellé « Campus France », c’est celui par lequel ma sœur est passée. Et moi je suis passée par un autre circuit et je pense que le fait que ma mère était déjà établie là a aidé un tout petit peu les choses. »
Transcrit du clip audio

Source : site de Bondy, Seins-Saint-Denis, FR, https://www.ville-bondy.fr/vivre-a-bondy/cadre-de-vie/developpement-durable/environnement/parcs-et-squares/
Nadège est passionnée d’agriculture et décide de faire un BTS (Brevet de technicien supérieur) en agronomie ; c’est un diplôme qui peut être complété en deux ans. Elle commence ses études dans un institut à Magnanville, une commune française de la région des Yvelines, au nord-ouest de Paris. Comme c’est loin de Bondy, elle pensionne à l’internat pour la durée de ses études. La transition au milieu français n’est pas simple:
«…comme toute transition, y’a toujours un manque…j’ai atterri dans un milieu…nouveau, heureusement que c’était le français, vu qu’en Côte d’Ivoire on parle le français, donc j’étais pas totalement dépaysée…. Ce qui m’a dépaysé un peu, c’est que je n’étais pas auprès de ma mère pour les études parce que l’école que je fréquentais était en région parisienne, mais très loin. Donc je restais à l’internat. Donc souvent je pouvais rester toute seule pendant plus d’un mois. Et voilà je ne rentrais pas parce que faire le trajet, et puis j’avais commencé les cours avec du retard et je voulais rattraper ce retard-là, vu que c’était aussi une nouvelle filière, et voilà, je voulais être vraiment performante. »
Transcrit du clip audio
Nadège termine son diplôme d’agronomie en deux ans. Son expérience dans le milieu agricole français la marque. À Bondy, Nadège a l’habitude d’être entourée d’autres immigrants. À Magnanville et dans le monde agricole, c’est moins le cas. Nadège explique que :
« … c’était difficile parce que…on n’était que deux filles dans la promotion (…) après il y en a une qui a abandonné, être la seule fille en plus noire c’était pas évident. Mais voilà, j’ai un caractère assez trempé et j’ai su m’imposer. Et puis fallait ça parce que voilà pour « survivre » entre guillemets, il faut pouvoir s’affirmer un tout petit peu. »
Nadège Tuo, Entretien, 2019

Source : https://www.ihedrea.org/
En 2006, elle commence des études de Master 1 en droit rural et économie agricole à l’Institut des hautes études en droit rural et d’économie agricole (IHEDREA) à Levallois « dans le 92 », comme elle dit, se référant au code postal du département Hauts-de-Seine juste à l’ouest de Paris. Elle explique son choix de poursuivre des études en droit rural :
« … Je suis tombée dans le droit par hasard parce que je me suis dit : c’est quoi ça le droit rural? Je connais pas ça. Et puis bon ça m’a réussi, j’ai aimé, j’ai eu des professeurs qui étaient vraiment performants, qui m’ont aussi donné l’amour de la matière. Donc j’ai fait trois ans dans cet institut-là, et c’est l’un des seuls instituts qui donne ce genre de cours en France. »
Nadège Tuo, Entretien, 2019
Levallois est beaucoup plus proche de Bondy que Magnanville ; Nadège retourne donc habiter chez sa mère pour la durée du Master 1.
En 2009, à la fin de son Master 1, elle commence son Master 2 à la Sorbonne. Elle est acceptée au programme de droit rural et des filières agroalimentaires ; elle y passe deux ans. Elle fait le trajet de Bondy à Paris matin et soir : « Et puis, le Master 2, c’était que trois jours par semaine, et les autres jours on devait être en entreprise pour pouvoir se former. »

Source : Wikipedia, téléchargé le 12 janvier 2006, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Paris_75005_Place_de_la_Sorbonne_Sainte-Ursule_20041101.jpg
À la fin de ses études, Nadège travaille à Paris pendant deux ans. La première année, elle fait À la fin de ses études, Nadège travaille à Paris pendant deux ans. La première année, elle fait beaucoup de recherches juridiques, principalement chez Groupama, une société mutuelle française spécialisée dans les assurances aux agriculteurs. En 2011, elle travaille aussi comme aide à domicile chez des personnes âgées ; elle leur fournit une assistance administrative et physique.

Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Paris,_France_(43211456210).jpg
N’étant plus étudiante, Nadège change de statut en France, ce qui complique ses procédures d’immigration :
« …j’étais étudiante et après on me demandait de rentrer dans mon pays donc j’ai commencé à travailler. Et il fallait trouver un employeur qui puisse payer les taxes et ça c’est ce qui m’a compliqué un peu les choses. »
– Nadège Tuo, Entretien, 2019
En 2012, encore à Paris, Nadège commence à réfléchir à immigrer au Canada. Elle a un ami qui essaie de la convaincre en lui disant :
« Tu as des compétences. Là-bas ils cherchent du monde. Et puis là-bas, si tu as des compétences, si tu arrives à te vendre, tu auras un bon emploi et c’est surtout ça. Parce qu’ils ne vont pas regarder si tu es noire…même s’il y a du racisme, ils vont regarder tes compétences. Si tu peux apporter quelque chose, voilà je pense que ça va te réussir. »
Transcrit du clip audio
Cet ami rappelle à Nadège qu’elle a également des compétences en anglais, qui pourraient être un atout : « Pourquoi tu ne vas pas au Canada, au lieu de rester ici et puis toujours trouver l’employeur qui va pouvoir te payer tes taxes pendant un certain moment ? »
Nadège admet que son ami a déclenché quelque chose :
« C’est de là où est parti mon idée d’immigrer… »
– Nadège Tuo, Entretien, 2019

Source : https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/travailler-canada/embaucher-travailleur-etranger/travailleurs-francophones-bilingues-exterieur-quebec/destination-canada.html
Chaque année à Paris, le gouvernement canadien organise un forum d’immigration qui s’appelle Destination Canada avec des représentants de chaque province et de certaines entreprises. En mûrissant son projet, Nadège décide de participer à la foire de recrutement Destination Canada : « … d’abord on envoie son CV, et si le CV est convenable, on est sélectionné pour participer à ce forum. J’ai envoyé mon CV et j’ai été sélectionnée ».
Source : Vidéo par Chedly Belkhodja, https://vimeo.com/294788988
Elle y rencontre Brigitte Léger, la représentante du Manitoba, qui l’encourage à considérer la province et l’aide avec son dossier d’immigration. Comme pour plusieurs autres immigrés vers le Manitoba, Madame Léger va jouer un rôle important dans le déménagement et l’ancrage de Nadège à Winnipeg.
De 2012 à 2013, Nadège se concentre sur son objectif d’immigrer au Manitoba. Toutefois, vu qu’elle n’a aucune attache, ni d’emploi au Canada, elle devra attendre d’acquérir deux ans d’expérience dans le même emploi avant de pouvoir faire une visite exploratoire au Manitoba. En juillet 2013, Nadège termine ses deux ans d’expérience de travail et, avec l’aide de Brigitte Léger, elle commence le processus pour une visite exploratoire.
En mai 2014, Nadège passe ainsi deux semaines, à sa charge, à Winnipeg. Pendant son séjour, elle demeure à l’Abri-Marguerite à Saint-Boniface, un centre de transition pour les nouveaux arrivants ( http://accueilfrancophonemb.com/logement-de-transition/ ). Elle ne connait personne à Winnipeg, mais le Manitoba l’intéresse, car c’est une région agricole. Peut-être pourra-t-elle travailler dans son domaine.
« …cette visite permet de créer une sorte de réseau et voir comment on peut s’en sortir…Et donc j’avais ciblé un peu Brandon. Et puis quand je suis venue, je n’ai pas eu la chance de partir à Brandon parce que mon anglais, c’est vrai, pour l’écrit ça va, mais avec l’accent canadien, j’étais totalement perdue. Parce qu’on se dit: “oui on comprend l’anglais,” mais quand on arrive sur le terrain, avec l’accent ça jouait. Et puis j’ai pas eu quelqu’un pour m’accompagner sur Brandon. Je suis restée ici. J’ai essayé de voir les entreprises qui travaillaient dans l’agroalimentaire, puisque le droit agricole c’est vraiment très spécifique et je ne pense pas que ça existe ici, même dans certains pays … je pense que c’est vraiment propre à la France. Donc j’ai essayé de créer des contacts, de voir comment la vie peut se passer ici et puis j’étais seul, donc je voulais voir vraiment comment ma vie allait se passer au quotidien…
Transcrit du clip audio
À la fin des deux semaines, Nadège a un entretien avec un agent d’immigration qui l’invite à soumettre un dossier PCM (Programme des candidats du Manitoba) pour demander sa résidence permanente. Dès son retour en France, elle commence tout de suite les procédures.
Nadège caractérise l’expérience de monter un dossier d’immigration comme une épreuve qui se complique aux moments clés…
« …Il faut vraiment être bien organisé parce qu’on vous donne une liste, souvent il faut aller sur internet, souvent il y a des fichiers qui peuvent être ouverts ou pas. Puis moi j’avais pas l’imprimante à la maison donc il faut aller dans des cybers faut être sûre qu’on est dans un endroit propice, là où on va pas pirater tes données. Donc j’ai monté ce dossier et puis après il y a un coût financier. Donc ça va, j’étais préparée. Je savais qu’il y allait avoir ce coût-là. Donc je monte le dossier, dès qu’on me demande une pièce: tac. Dès qu’on me demande un paiement : je le fais automatiquement. Et puis la visite exploratoire : je suis enceinte. [rires] Quand j’ai découvert ça, c’était Madame Léger qui était la première personne que j’ai averti.
Transcrit du clip audio

Source : By Wpg guy (own work) CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=15384932
Cette dernière lui conseille d’avoir son bébé en France avant de poursuivre le processus d’immigration.
Son fils naît à Paris en 2016. Elle l’ajoute à sa demande d’immigration pour le Canada et se prépare à partir.
Nadège et son fils, qui a alors 14 mois, arrivent à Winnipeg en mai 2017. Avant son départ de France, Nadège a pris contact avec l’ancien patron de son frère en Côte d’Ivoire, un Rwandais qui vit avec sa femme à Winnipeg.
« Donc c’est cette personne-là qui est allée me chercher à l’aéroport et pendant que je payais mon billet, que je faisais mon dossier tout ça, je lui demandais : “mais est-ce que vous avez des endroits où je peux rester parce que l’abri Marguerite, maintenant on me dit que c’est un peu compliqué.” Il m’a dit : “ne t’inquiète pas, ne t’inquiète pas !”… J’arrive, il m’accueille à l’aéroport, et on va chez lui : une grosse maison, bien propre… Et puis, il nous installe, mon fils et moi, au sous-sol où on est très bien installé, et là, j’ai commencé maintenant à faire mes démarches pour la garderie, pour les cours d’anglais… »
Transcrit du clip audio
Nadège et son fils passent donc leurs deux premières semaines chez cet homme et sa femme, avant de déménager dans un appartement sur la rue Arden, dans le quartier Saint-Vital.
Nadège commence tout de suite à suivre des cours d’anglais au Red River College, où elle étudie pendant deux ans. Elle explique son raisonnement :
« Parce qu’ici, même si c’est une zone francophone et anglophone, disons qu’on ne peut pas aller travailler qu’ en français. Et si on veut évoluer, il faut avoir l’anglais donc j’ai demandé des conseils, on m’a dit : « Fais ton anglais à un certain niveau et comme ça tu peux après commencer à chercher un emploi. Donc, j’ai fait des cours d’anglais… »
– Nadège Tuo, Entretien, 2019

Source: https://www.rrc.ca/
En mai 2019, Nadège débute comme adjointe administrative au Conseil de développement économique des municipalités bilingues du Manitoba (CDEM), où elle travaille dans le domaine de l’employabilité. Même si elle ne travaille pas spécifiquement dans le domaine agricole, cet emploi lui permet d’exercer ses capacités de recherche et d’aider les gens, ce qu’elle aime beaucoup.
Nadège trouve une garderie anglophone pour son fils, juste en face du CDEM. Elle explique cependant qu’elle lui parle en français à la maison, car elle veut absolument qu’il connaisse cette langue.
Grâce aux nouvelles technologies, Nadège est souvent en contact avec les membres de sa famille et avec ses amis, en France et en Côte d’Ivoire. Elle a eu plusieurs défis pour s’intégrer à son nouveau pays, mais elle parle positivement de son expérience en tant que nouvelle arrivante au Canada :
« Ce qui est important pour moi c’est que…en matière d’immigration c’est toujours difficile. Il y a l’adaptation et puis les gens n’immigrent pas toujours pour les mêmes raisons, ou c’est un choix. Il y a des gens qui viennent ici parce qu’ils sont obligés. Ils viennent peut-être ils n’aiment pas Winnipeg. Il y a peut-être d’autres défis, mais ils n’ont pas le choix, parce qu’ils sont venus en tant que réfugiés. Donc il y a un circuit à suivre. Moi j’ai eu la chance de faire ce choix-là. Après aussi il y a des défis à relever. Ici à Winnipeg il y a le défi de la langue. J’aurais pu aller au Québec ou à Montréal, mais je me suis dit : « Quitter le français pour aller dans le français, quand on veut un changement, il faut le vouloir, voilà. » Donc je me suis dit : Voilà, la barrière de la langue, on peut la surmonter. C’est pas toujours facile, mais souvent avec des appuis avec des conseils ». Je demande beaucoup de conseils, je demande beaucoup les expériences des autres et j’essaie de faire un mixt pour pouvoir m’épanouir. Parce qu’on vient, il fait aussi apporter quelque chose au Canada. Il faut apporter quelque chose au Canada et si on ne se sent pas bien, on ne peut pas apporter quelque chose. Et moi je suis venue avec un petit garçon, si je ne suis pas heureuse, je ne peux pas le rendre heureux. C’est pour ça aussi qu’on essaie de s’ouvrir aux autres communautés. Et le gouvernement en tout cas met beaucoup de choses en place, des activités. Et c’est à nous maintenant de saisir la perche qu’ils nous tendent. Puis voilà il y a déjà des cours qui sont gratuits. Il y a beaucoup de structures : il y a le CDEM, l’Accueil francophone qui sont là pour nous aider. C’est à nous de s’ouvrir pour pouvoir vivre sur le sol canadien. »
– Nadège Tuo, Entretien 2019

Voici une carte de la trajectoire de Nadège Tuo.

Voici une carte de la trajectoire de Nadège Tuo en France.

Voici une carte de la trajectoire de Nadège Tuo à Winnipeg.