Nous esquissons dans ce profil la mobilité et les points d’ancrage de cinq générations de la famille de William LeProhon, jeune Québécois rencontré en Colombie-Britannique en 2015 (https://uncanadienerrant.ca/colombie-britannique/). Nous ne fournissons que les grandes lignes de la lignée de sa mère (les grand-parents maternels et la famille de sa grand-mère maternelle), afin d’explorer les liens entre l’attachement de William au Bas-Saint-Laurent (https://uncanadienerrant.ca/rimouski-et-le-bas-st-laurent/), et la sa mobilité géographique, notamment avec son point d’ancrage régulier dans la vallée de l’Okanagan-Similkameen, en Colombie-Britannique. La trajectoire de cette famille nous permet également de relier deux de nos terrains.
Le village central dans l’histoire de cette famille est Esprit-Saint, dans la MRC de Rimouski-Le village central dans l’histoire de cette famille est Esprit-Saint, dans la MRC de Rimouski-Neigette. La municipalité est située à 55 km de Rimouski à l’est et 60 km de Trois-Pistoles à l’ouest.
Selon le site web officiel du village (consulté le 18 août 2020) :
Les premiers arrivants se sont établis en 1937. L’agriculture et l’exploitation forestière occupaient une place de premier choix dans le développement économique de la municipalité. Il y a eu une augmentation de la population jusqu’en 1950. On dénombrait 205 familles, 1300 habitants et 160 cultivateurs sur le territoire. À partir des années 1960, le déclin de la population se fait malheureusement ressentir. Plus de 700 habitants et 171 familles se retrouvent à Esprit-Saint et le nombre de cultivateurs a diminué à tout près de 50… Village menacé de fermeture dans le cadre du BAEQ [Bureau d’Aménagement de l’Est du Québec, 1963], sa population fût à l’origine du mouvement des Opérations Dignité. La solidarité exemplaire des citoyens a permis la mise sur pied de projets collectifs. Malgré cela, Esprit-Saint fait face aujourd’hui à un déclin économique et démographique majeur.
– http://www.municipalite.esprit-saint.qc.ca/municipalite/?id=2#contn, consulté le 18 août 2020
De fait, le village est connu pour les Opérations Dignité, un mouvement des années soixante organisé pour résister à la fermeture de près d’une centaine de villages en Gaspésie et au Bas-Saint-Laurent, au nom d’un développement régional « rationnel ». Les Spiritois s’unissent pour préserver leur mode de vie rural et leur patrimoine. Le village héberge maintenant un musée qui est dédié au mouvement.
Première génération : Arrière-arrière-grand-père Eugène Morneau et arrière-arrière-grand-mère Angèle Pelletier
Eugène Morneau, né en 1864, est l’arrière-arrière-grand-père de William (le grand-père de sa grand-mère maternelle, Olivette Brisson). Il venait de Sainte-Blandine dans le Bas-Saint-Laurent, juste à l’extérieur de Rimouski. En premières noces, il épouse une Acadienne et déménage avec elle à Tracadie, au Nouveau-Brunswick. Ils ont quinze enfants.
Douze ans plus tard, il doit quitter Tracadie parce qu’il a illégalement abattu un orignal pour nourrir sa famille et les gens du village. Suivant les conseils de son curé, il retourne avec son fils ainé à Sainte-Blandine, où habite son père. Dans son livre Souvenances, écrit en 1982, sa fille Jeanne écrit : « Il s’installe sur une terre, et au bout de six mois, il a fait demander sa famille » (p.10).
Après le décès de sa première femme, en 1908, il épouse Angèle Pelletier, de Saint-Gabriel, un village à proximité de Sainte-Blandine. Angèle est une veuve qui a cinq enfants.
Ensemble, ils en auront sept autres. L’ainée, Jeanne, née en 1909, est la mère d’Olivette et l’arrière-grand-mère de William. Le grand-père paternel de Jeanne habitait également avec eux. l’arrière-grand-mère de William. Le grand-père paternel de Jeanne habitait également avec eux.
Eugène travaillait l’hiver comme bûcheron. À partir de l’âge de douze ans, Jeanne l’accompagnait pour faire, comme elle dit, de la « cookkerie ». Ses frères travaillaient aussi dans les chantiers comme bûcherons. La chasse et la pêche étaient également des sources de nourriture, tout comme la récolte de bleuets sauvages en été. Quant à Angèle, elle était sage-femme.
Eugène Morneau décède en 1940 à l’âge de 76 ans à Sainte-Blandine. Malheureusement nous ne pouvons pas identifier la date de décès d’Angèle Pelletier.
Deuxième génération : Adrien Brisson et Jeanne Morneau, arrière-grand-parents de William
En 1923, Jeanne rencontre Adrien Brisson dans les chantiers. Elle a 14 ans et lui 25. Ils veulent se marier, mais ils attendent jusqu’en 1928.
Jeanne doit passer quelques années après son mariage au sanatorium St-Georges de Mont-Joli.
Comme c’est le cas pour la plupart des nombreux descendants au Canada de colons français du 17e siècle, la famille Brisson peut tracer sa généalogie suivant diverses branches, et garde des documents généalogiques, dont voici un exemple.
Adrien et une de ses sœurs étaient retournés dans la région cinq ans après le décès de leur mère, après avoir vécu longtemps à Montréal. Le reste de leur famille, d’ailleurs, y est resté. Dans la région montréalaise, ils habitaient un village connu comme « l’Abord-à-Plouffe », sur la Rivière-des-Prairies, dans ce qui est maintenant la ville de Laval. Adrien a fait une neuvième année, et ensuite a travaillé pour la compagnie des chemins de fer Canadian Pacific.
Selon sa fille Olivette, Adrien n’avait aucune expérience, ni comme cultivateur ni comme bûcheron. Elle dit que l’établissement à Sainte-Blandine a été difficile.
En 1937, on ouvre le territoire d’Esprit-Saint à la colonisation. Adrien, Jeanne et leurs enfants sont la première famille à s’établir, accompagnés d’un frère de Jeanne. Jeanne raconte :
Dans le printemps, mon mari entend dire que le gouvernement accordait des lots. Il m’en parle et j’en ris : « tu ne feras jamais un habitant » que je lui dis. Le lendemain il s’en va rencontrer le curé et l’inspecteur des lots. Il obtient le lot #34, rang UN, Chénier. En août, il partait avec un groupe de quinze hommes de Sainte-Blandine.
(Souvenances, p.16)
L’établissement sur le lot de colonisation prend plusieurs années. Tout en continuant à travailler comme bûcheron, Adrien finit par être en mesure de bâtir une maison. Il subira par la suite divers accidents graves. La ferme comprend un grand jardin et des pommiers. Les Brisson élèvent des vaches, des cochons, des moutons et des poules. Ils possèdent aussi une érablière et ils plantent des pins et des épinettes.
« Mon père faisait, oui, on peut dire qu’il était comme cultivateur. Il avait des cochons, des vaches… Pis une année, c’est en quelle année que ma mère avait planté 3000 choux…Elle faisait de gros jardins. »
– Olivette Brisson, Entretien, 2016
Jeanne vendait ses choux dans la paroisse.
Pour les soins de santé, il faut aller à Rimouski et même à Québec ou à Montréal. Rimouski est aussi un centre important d’approvisionnent. Après l’école de rang, les enfants doivent continuer leurs études à Rimouski, à Cabano, à Sainte-Rose-de-Dégelis ou à Mont-Joli.
Adrien et Jeanne auront 18 enfants, assez régulièrement à tous les 18 mois. Deux sont des filles, dont Olivette, grand-mère de William, qui habite maintenant la maison bâtie par son père. Leurs deux filles deviendront enseignantes. Les garçons travaillent dans les chantiers de la Côte-Nord (tout comme Jean Malenfant, le mari d’Olivette), soit comme cooks, soit comme bûcherons. Éventuellement, quatre continueront dans les cuisines, un deviendra arpenteur, deux posséderont des magasins, un travaillera pour la Voirie provinciale et un sera opérateur de machinerie lourde pour la Ville de Longueuil.
Jeanne s’engage dans la vie du village, surtout à partir du départ des enfants de la maison. Elle prépare des demandes de subvention pour des projets communautaires, et, en 1972, elle apparaît Jeanne s’engage dans la vie du village, surtout à partir du départ des enfants de la maison. Elle prépare des demandes de subvention pour des projets communautaires, et, en 1972, elle apparaît sur un char allégorique lors du 35e anniversaire de la paroisse : « J’étais sur un métier à tisser. Le garçon qui était pâtissier faisait du pain. Un autre barattait du beurre, des femmes filaient et d’autres cardaient » (Souvenances, p.55). Cependant, Jeanne note que, à part elle et Adrien, seulement deux veuves étaient parmi les premiers fondateurs à vivre toujours à Esprit-Saint.
À la retraite, Jeanne et Adrien déménagent au village, laissant vide la maison qu’ils ont bâtie. Leur fille Olivette et son mari achètent la maison en 1974 et s’y installent en 1981. En 1978, on fête les 50 ans de Jeanne et Adrien. Quatre ans plus tard, le couple a déjà 40 petits-enfants et trois arrière-petits-enfants. Jeanne meurt en 1986, Adrien en 1997.
Troisième génération : Jean Malenfant et Olivette Brisson, grand-parents de William
Olivette Brisson est née le 19 janvier 1942 dans la maison construite par son père à Esprit-Saint. Tous ses frères et sa sœur sont également nés dans cette maison.
Olivette se rappelle du village d’Esprit-Saint quand elle était petite comme un lieu rempli de vie.
Olivette :
« Dans le rang avant y’avait pleins de petits magasins. Ils vendaient du sirop… pis des bines, pis des pois, pis de la gasoline même…Y’avait des bouchers qui passaient, pis y’avait des camions de liqueur…de toute sortes d’affaires…de vendeurs itinérants. »
Entretien, 2016
Olivette a fait l’école de rang à Esprit-Saint, tout comme ses frères et sœurs. Il y avait un collège au village pour les garçons; deux de ses frères y ont fait leur ‘secondaire’.
Bonne élève, elle a continué après sa 7ème année à Cabano pendant deux ans chez les Sœurs du Saint-Rosaire, puis elle a fait sa 10e année chez les Ursulines à Rimouski. À 16 ans, avec son certificat de 10e année, elle a pu devenir enseignante. Elle a enseigné à Trinité-des-Monts, la localité voisine d’Esprit-Saint. Elle était la seule laïque de l’école, « J’avais 1 200$ par année ».
Jean a grandi à Trinité-des-Monts. Comme Olivette et la majorité des Canadiens français, il peut tracer ses origines familiales en Nouvelle-France.
Jean fait partie d’une famille de 21 enfants. Quatorze sont encore en vie. « Y’en a à la grandeur de la province ». Le plus jeune a 60 ans. Il y en qui vivent à Gatineau, Granby, Port-Cartier, Rimouski. Jean raconte : « À six ans, je tirais des vaches. Je me levais à six heures le matin pour tirer les vaches » (Entretien, 2016).
Comme les Brisson, ses parents « produisait pas mal tout. Ils avaient un grand jardin. Ils gardaient des animaux. Y avait tout le temps une centaine de cochons. Ils en tuaient un à toutes les semaines pour l’épicerie à Trinité et l’épicerie à Esprit-Saint. Ils vendaient du porc. »
– Jean, Entretien, 2020
Vers l’âge de 14 ans, « le premier tracteur qui est rentré à Trinité-des-Monts, c’est nous autres qui l’ont eu. Mon père avait acheté le tracteur et on travaillait pour les autres. On labourait. On hersait. … On travaillait jour et nuitte. Mon frère travaillait le jour et je travaillais la nuit. On allait labourer. On allait herser ».
– Jean, Entretien, 2020
Beaucoup d’hommes de la région partaient une partie de l’année pour les camps de bûcheron sur la Côte-Nord (pour la compagnie Price), au Nouveau-Brunswick et aux États-Unis (pour la compagnie Fraser). Éventuellement, ils travailleront surtout sur la Côte-Nord. Jean fait partie de la génération qui a connu ce changement.
À l’âge de seize ans, en 1948, Jean a commencé à travailler dans les camps de bûcheron à Forestville:
« Mon horaire. Je me levais le matin puis je me couchais le soir. C’était ça mon horaire. […] Je gagnais une quizaine de piastres par jour. Brut-là. C’était pour la famille. On était nourri. On était couché. On payait nos voyages. »
– Jean, Entretien, 2020
L’argent qu’il gagnait allait à sa famille jusqu’à temps qu’Olivette et Jean se marient.
Après avoir été bûcheron, Jean travaillera comme menuisier, d’abord à la Baie-James, lors de la construction de barrages de sable et de glaise.
« Quand je suis sorti de la scierie sur la Côte-Nord, je suis allé à la Baie-James. Je travaillais pas à l’année à la Baie-James. C’était tous des runs de 55 jours. Je faisais trois runs par été de 55 jours. Après ça, je venais passer l’hiver ici puis je travaillais sur la maison. »
– Jean, Entretien, 2020
« J’ai toujours aimé ça parce qu’il fallait que je gagne ma vie. C’est ça. T’es tout le temps dans le danger, dans les hauteurs, mais j’ai aimé ça. »
– Jean, Entretien, 2020
Olivette et Jean se marient en 1960. Olivette, et éventuellement leurs enfants, le suivent à travers ses pérégrinations à travers le Québec, notamment sur la Côte-Nord (Baie-Comeau, Godbout, Manic-5).
Olivette rejoint Jean à la Manic-5 à 135 miles de Baie Comeau; trois frères de Jean quittent le travail de bucherons pour les cuisines de la Manic-5.
Leur fille est leur premier enfant à naître sur le chantier. Leur fils vient au monde à Rimouski, même si la famille habite toujours au chantier du barrage.
« À Manic 5, c’était super. Les enfants faisaient beaucoup de sport. J. (sa fille) a fait sa première année-là. »
« Y avait 500 roulottes là. Puis on a acheté une roulotte d’un monsieur qui déménegeait. On a déménagé en 1971 quand ils ont fermé le parking roulotte. Le monde est tout descendu en ville … à Baie-Comeau et Haute-Rive. Puis à Chutes-aux-Outardes ».
« Dans les roulottes, y avait du monde de la grandeur de la province. À Manic 5, dans le temps de la grosse ouvrage, y avait du monde-là. Neuf mille employés rien qu’à Manic 5. Avec en plus cadres. Y avait deux shifts. Ça travaillait jour et nuit. … On était tous des menuisiers. Y avait des Anglais, des Italiens, toutes sortes de races … Ils parlaient français. Tout le monde parlait français. « Les ingénieurs, la plupart venait de Montréal. Les gérants de projets qu’on appelait. »
– Jean et Olivette, Entretien, 2020
Olivette raconte que, par la suite « [Les enfants] ont fait leur secondaire à Haute-Rive/Baie Comeau […]. » Olivette fait sa onzième année et reprend son travail comme suppléante.
Le couple achète la maison des Brisson à Esprit-Saint en 1974, mais ils continuent de vivre sur la Côte-Nord jusqu’en 1981 en gardant Trinité-des-Monts comme point d’ancrage pour l’avenir pour éventuellement déménager dans la maison Brisson.
« C’est pour ça qu’on a acheté la terre ici – la terre de mes parents. Mes parents ont déménagé au village. Ça avait pas été habité pendant plusieurs années ici. »
– Jean, Entretien, 2020
« Quand on a acheté ça, on restait sur la Côte-Nord. Puis on est parti du Côte-Nord pour rester ici (Trinité-des-Monts) en 1981. »
– Jean, Entretien, 2020
Olivette arrête de faire de la suppléance, parce qu’elle trouve que les jeunes sont devenus trop difficiles, et qu’elle ne veut pas faire du remplacement au secondaire. Après la retraite, Olivette demeure active et travaille à la bibliothèque plusieurs années et aussi comme conseillère municipale, où elle s’engage dans plusieurs « projets ». Les enfants entreprennent des études au Cégep de Rimouski. Ils quitteront la région pour faire des études universitaires. Jean prend sa retraite en 1990.
Les enfants ayant déménagé dans la région de Montréal, Jean et Olivette s’y rendent en visite et reçoivent à leur tour leurs enfants et leurs famille. Depuis quelques années, leurs voyages à Montréal ont cessé, puisqu’ils sont moins portés à quitter la maison. Les plus jeunes viennent les voir et parfois il y a de grands rassemblements familiaux à Esprit-Saint.
Le couple a des nièces et des neveux un peu partout dans la province : Montréal, Québec, Longueuil, Rivière-du-Loup, Fermont, Gatineau, Côte-Nord. Une nièce est à Moncton, une autre au Manitoba. Très peu de la famille d’Olivette a quitté le Québec.
Olivette et Jean Malenfant ont vécu les grandes transformations de la société québécoise depuis la Deuxième Guerre mondiale.
« L’électricité en 1954. Y avait pas de toilette à l’eau. Les changements que moi j’ai vus… On avait des changements à tous les jours. On s‘en apercevait tous les jours… L’électricité, la t.v., le frigidaire, moulin à laver… »
– Jean, Entretien, 2020
À l’époque de la mobilisation d’Opération Dignité, Olivette explique que les « grosses réunions se faisaient ici à Esprit-Saint ». Olivette et Jean n’étaient pas directement impliqués, car ils habitaient à cette époque sur la Côte-Nord, mais le mouvement les a marqués, et Olivette y accorde une grande importance. C’est aussi un rappel du temps que le village était plus grand et plus animé. Cependant, malgré les efforts des populations ciblées, les villages continuent à décliner :
« Les jeunes y sont obligés d’sen aller… Y’a rien par icitte… Y’a rien pour les jeunes. Y’a juste le moulin à bardeaux. À Trinité, y’a rien. »
– Jean, Entretien, 2020
« Y’avait 2 000 personnes ici à Esprit-saint, pis maintenant on est rendu à 370. … Pis à Trinité, 285. ».
– Olivette, Entretien, 2020
Le couple compte demeurer le plus longtemps possible à Esprit-Saint. « Parle-moi pas de la ville. On veut mourir ici. C’est notre maison. On est bien ici », dit Jean (Entretien, 2020).
Quatrième génération : Les enfants d’Olivette et Jean
Les deux enfants feront leur primaire et leur secondaire dans la région de Baie-Comeau. Ils iront tous les deux au CÉGEP de Rimouski. Leur fille étudie en en technique de génie. Ensuite, elle a fait son baccalauréat à l’Université d’Ottawa. De son côté, leur garçon fait son baccalauréat et sa maîtrise à l’Université Laval.
Aujourd’hui, leur fils est ingénieur et travaille à Montréal dans une compagnie qui a été achetée par des Américains. Il va souvent en Californie pour son travail. Il fait des effets spéciaux, de la post-production pour des entreprises hollywoodiennes et internationales (Nike, Pepsi) (Entretien 2016). Olivette nous dit que ses deux enfants travaillent beaucoup en anglais qu’ils ont appris, « sur le tas ». Leur fils pense revenir à Esprit-Saint lorsqu’il prendra la retraite.
La mère de William, dans la vingtaine, est embauchée par une compagnie de Laval. C’est là où elle La mère de William, dans la vingtaine, est embauchée par une compagnie de Laval. C’est là où elle rencontre son mari, né à Laval de parents français. Le jeune couple s’établit à Saint-Sauveur, dans les Laurentides, où le père de William à de la famille. Aujourd’hui, elle est cadre dans une entreprise de design industriel à Saint-Jérôme. Elle gère une équipe de dessinateurs en Inde. Elle a vendu récemment sa maison à Prévost, dans la région des Laurentides, à l’est de Saint-Sauveur, pour vivre dans une banlieue de Montréal.
Le père et le frère de William habitent toujours dans les Laurentides.
Cinquième génération : William Lephrohon
En 1991, la fille d’Olivette et Jean et son mari ont un premier fils. Un an plus tard, ils ont leur deuxième enfant, William, né en 1993 à l’hôpital de Sainte-Agathe-des-Monts, un des hôpitaux de la région.
En 1995, la famille quitte Saint-Sauveur pour vivre à Montréal, sur le Plateau Mont-Royal. Deux ans plus tard, ils déménageront dans la maison qu’ils ont bâti sur une terre à Prévost. Le lendemain du déménagement, le frère de William commence l’école à Prévost.
Pour sa part, William fréquente d’abord l’École Val-des-Monts à Prévost et ensuite la polyvalente régionale à Saint-Jérôme. Il a maintenu des liens avec presque tous ses amis de l’école primaire et secondaire.
Chez les Leprohon, les liens familiaux sont très forts. La famille part souvent en voiture pour se rendre en à Deerfield Park, en Floride, où les grands-parents paternels de William passent l’hiver dans une maison mobile. Ils profitent de la mer chaude et explorent la Floride. Ils se rendent aussi plusieurs fois par année à Esprit-Saint, pour les vacances d’été de Pâques et de Noël.
En 2010-2011, William fréquente le CÉGEP de Saint-Jérôme (2010-2011), où il étudie en comptabilité-gestion dans le but de devenir un entrepreneur gestionnaire. Il quitte le programme après un an, par manque d’intérêt; il dit qu’il n’a pas envie d’avoir un emploi routinier où il monterait tranquillement les échelons. Il décide donc de voyager.
« Je ne voulais non plus faire honte à ma mère et rien faire de ma vie… Je vais aller voyager pendant six mois et ça va me faire quelque chose à vivre. C’est devenu une option parce que je ne savais pas quoi faire d’autre. »
– William, Entretien, 2020
Il est aussi motivé par le désir de voir du pays, d’apprendre des langues et de rencontrer des gens d’autres cultures. Donc, en décembre 2011, à 18 ans, il part pour la première fois tout seul… pour le Costa Rica pour six mois. Il s’incrit dans le réseau des « woofers » (WWOOF : World Wide Opportunities on Organic Farms, un organisme d’écotourisme et de tourisme de bénévolat qui place les voyageurs sur des fermes organiques à travers le monde).
Il fera le tour de ce petit pays: les plages de la péninsule de Nicoya et de la Caraïbe, les montagnes de l’intérieur et fera un saut au Panama (à Bocas del Toro, connu pour le surf).
À la première ferme, il prend des cours d’espagnol; par la suite, même s’il apprécie ses rencontres avec des woofers et des bénévoles de partout à travers le monde (un professeur de yoga américain deviendra un bon ami), sur les fermes il se tiendra surtout avec de jeunes ouvriers « ticos » (le terme vernaculaire pour les natifs de Costa Rica), ce qui lui permet de continuer d’apprendre l’espagnol. C’est durant ce séjour qu’il apprend l’agriculture biologique, la permaculture ainsi que les concepts d’autosuffisance et de durabilité économique et écologique.
Son nouveau style de vie lui plait : « J’ai adoré ça. Je suis devenu accro. ».
– William, Entretien, 2020
William rentre à Prévost en juin 2012 avec quelque mille dollars en poche. Il trouve un emploi à Saint-Sauveur comme courtier immobilier. Mais, même s’il est très attaché à la nature, les rivières et les forêts des Laurentides, le goût de voyager et de découvrir le monde ne le quitte pas.
En 2014, à l’âge de 21 ans, il part en voiture vers l’Ouest canadien avec son ami J. « sans aucun plan, sans aucun but, objectif. On est comme juste partis dans l’Ouest canadien pour aller faire un voyage » (Entretien, 2020). Cependant, ils ont l’intention de travailler pour pouvoir voyager, contrairement à plusieurs des jeunes étudiants québécois qu’ils rencontrent et qui se sentent davantage en vacances.
William et J. se dirigent directement vers Keremeos, petite ville du sud de la vallée de l’Okanagan-Similkameen, une région agricole et touristique. Ils font du camping sur le bord de la rivière Similkameen, comme le font des jeunes itinérants du Québec et d’ailleurs depuis les années 1970. D’ailleurs, ils rencontrent beaucoup de Québécois dans les parcs municipaux des petites villes de la vallée. Ces jeunes, souvent cégepiens, font partie d’une vague qui, depuis des décennies, vient à tous les étés faire la récolte des cerises – une saison de courte durée, en début d’été, et une récolte qui ne demande pas une expertise spécifique. Avec leur aide, William et J. se trouvent aussi du travail dans les vergers.
Sur le terrain, ils constatent que les Québécois occupent une position distincte par rapport aux travailleurs étrangers du Mexique et du Jamaïque, venus grâce à des programmes fédéraux, et qui assurent le fonctionnement des fermes durant toute la saison, passant d’une récolte à une autre selon le moment où murissent les divers types de fruits. Ils se distinguent aussi des jeunes de la vallée, qui ne sont pas intéressés par le travail saisonnier de cueillette de fruits. William dit que lui et ses amis étaient dans
« …un autre état d’esprit tsé…On va là pour vivre une expérience, puis dans le fond, la job qu’on va faire en tant que tel, on s’en fout. Ça n’a pas d’importance qu’on ramasse des pommes ou des raisins ou des cerises… On s’en fout parce qu’on a décidé de partir vivre une aventure, mais eux (les jeunes de la Colombie-Britannique), ils ont pas ça dans la tête ».
– William, Entretien, 2020
La présence de jeunes Québécois est critique pour la vallée, car elle essentielle pour la cueillette des cerises, mais le déplacement de ces jeunes du Québec vers l’Okanagan chaque été depuis les années quatre-vingt n’est pas soutenu par un programme provincial ou fédéral. La plupart, comme William et J., ont entendu parler de la vallée par des amis. Certains ont consulté la page Facebook, « les BCs », une page consacrée entièrement aux jeunes Québécois qui cherchent des renseignements sur comment travailler, voyager, manger et s’héberger en Colombie-Britannique (https://www.facebook.com/groups/437932936256552/).
William et J. n’ont pas rencontré d’agents agricoles, ni essayé de trouver des services sur la recherche d’emploi ou sur les conditions de travail. Ils se sont tout simplement présentés dans les champs et les petites villes de la vallée ou ont été recrutés au camping sur la rivière Similkameen par des fermiers locaux qui savent où trouver de la main-d’oeuvre.
Le sud de la vallée de l’Okanagan-Similakameen est une zone reconnue pour sa production agricole biologique, ce qui plait à William et son ami J. À un moment donné, ils travaillent sur une ferme entièrement biologique à Cawston et considèrent que c’est le meilleur emploi qu’ils ont eu en Colombie-Britannique. Après les cerises, ils se déplaceront vers le Nord pour suivre la récolte de fruits dans la vallée et cueilleront raisins et pommes. Ils dorment dans des tentes, même si les nuits sont froides en fin de saison. Les cueillettes terminées, William, J. et leurs amis partent à cinq en deux voitures vers le Sud en suivant la côte du Pacifique. Ils descenderont de la sorte jusqu’au Mexique, au Guatamela et au Nicaragua où ils vendent leur voiture. Ils prendront l’autobus pour retourner au Costa Rica et rentreront au Québec en avion, à l’hiver 2015.
William et J. retournent à l’Okanagan-Similkameen au début de l’été suivant avec deux autres amis d’enfance de Prévost. Le Québec ne les retient pas, n’offrant que des emplois au salaire minimum, et le goût de voir est ailleurs est fort chez au moins trois des quatre amis.
Durant ce séjour en Colombie-Britannique, les quatre amis parlent surtout en français. Ils « se retrouvent avec plein d’autres jeunes Québécois comme nous qui font la même affaire ». Les jeunes Québécois sont faciles à identifier. On les entend: « On passe à côté sur le trottoir/ tu sais d’où y vient ». Ceci dit, William ne s’identifie pas aux jeunes cueilleurs québécois« qui sont plus sur le party ». Il trouve qu’ils ne donnent pas une belle image des Québécois. « Je me suis pas associé à ces jeunes Québécois. J’ai pas accroché à ça » (Entretien, 2020). William est plus à l’aise avec les jeunes « voyageurs », en général, un peu plus vieux que les Cégepiens qui viennent uniquement pour la récolte des cerises. William ne rentre pas après les récoltes. Il se joint à d’autres qui voyagent de par le monde en travaillant, suivant les saisons agricoles dans les deux hémisphères (et souvent à l’aide de sites internet, analogue à la page Facebook « Les BCs », mais à l’échelle mondiale (voir le site Pick the World https://www.picktheworld.org). Il se rendra éventuellement en Amérique centrale.
Sur les fermes, ils rencontrent très peu de gens de la vallée, travaillant surtout avec d’autres jeunes du Québec, mais côtoyant également des ouvriers étrangers plus vieux qui viennent du Mexique, du Guatemala, ou de la Jamaïque. Ils sont peu en contact avec ces ouvriers; d’une part, ils travaillent dans des parties distinctes des vergers, et d’autre part, leur logement (normalement dans de meilleures conditions que celles des jeunes) est organisé selon les critères négociés dans les ententes inter-pays qui permet. En plus, les Québécois ont de la difficulté à communiquer avec ces ouvriers de la Jamaïque qui parlent « un patois de mélange d’anglais puis ché pas quoi » (Entretien, 2020).
Cette ségrégation est perçue par William et ses amis comme structurelle:
« C’est l’organisation de l’entreprise qui – qui séparait ça là – c’est pas nous là – … Les pickers, la majorité c’était des Québécois là tsé, qui campaient dans des tentes dans les champs de cerises comme nous … on (les Québécois) piquait tous ensemble dans des rangées pis les Jamaïcains y ramassaient les cerises eux-autres, tout ensemble dans d’autres rangées. »
– William, Entretien, 2015
Les amis rencontrent également de jeunes voyageurs d’autres pays (surtout de l’Europe, mais aussi d’Australie) qui ne travaillent pas légalement. De temps en temps, ils rencontrent un « Anglais » (Canadien) et doivent parler en anglais. Certains Canadiens anglais parlent le français – ce qui est inattendu et fort apprécié. En même temps, ayant grandi dans un milieu indépendantiste, William est un peu étonné de ne pas se sentir dépaysé : « En arrivant là, je me suis senti fier de pouvoir déménager là si je voulais. Je me suis senti priviliègé. Une belle surprise pour moi quand je suis arrivé dans l’Ouest canadienn ».
Travailler dans la vallée est non seulement une expérience canadienne, hors les frontières du Québec, mais l’occasion de côtoyer des membres des Premières Nations qui vivent sur ce qui est encore appellé des « Indian reserves ». Ces rencontres, même si brèves, font réfléchir les quatre amis. Ils se posent la question : « Avons-nous plus de sang indien en nous ou sur les mains ? ».
Après la saison des récoltes, deux des amis retournent dans l’est. L’un entreprend des études à Québec, l’autre complète un stage dans un atelier ontarien d’ébénisetrie fine et retourne à Prévost avec l’intention d’y ouvrir son propre atelier. Quant à William et J., ils partent de nouveau, cette fois vers la Californie, en compagnie d’une amie française. Ils iront jusqu’au Costa Rica.
William a alors entamé une mobilité pendulaire entre le Québec et l’Ouest canadien et américain, où il trouve du travail qui lui permet d’entreprendre d’autres voyages. C’est en fait, une mobilité internationale circulaire. Il traverse le continent souvent seul et se fait des amis dans les différents endroits par où il passe, soit pour le travail, soit pour la découverte.
« Je suis allé plusieurs plusieurs années dans la vallée parce que c’était mon opportunité d’aller travailler genre dans la saison pour pouvoir voyager le reste de l’année. Fait que pendant des années et des années et des années, depuis 2014, j’y retourne. Après ça, après la saison, je m’en vais dans le sud et dans d’autres pays. Je reviens au Québec le reste de l’hiver. J’y retourne là-bas après pour travailler la saison d’été. Je retourne voyager dans des pays chauds. Je reviens au Québec. Je retourne là-bas. Je retourne dans les pays chauds. Fait que ça fait comme un cycle, que j’aime bien. Que j’ai accroché. Qui répond à mon plaisir. Ouin. »
William, Entretien, 2020
C’est comme un cycle, une mode de vie.
– William, Entretien, 2020
William continue de faire la cueillette, parce qu’il aime le travail physique, être dans la nature. Ceci dit, la cueillette des cerises a peu d’attrait : il faut commencer à cueillir avant l’aube avec une lampe frontale des fruits couverts de pesticide. Par la suite, il se penche davantage vers l’agriculture organique.
William est très conscient que ce mode de vie n’aura qu’un temps : « c’est pas une carrière à faire toute sa vie… c’est plutôt une job saisonnière pour des jeunes qui ont envie de vivre des expériences » (Entretien 2020).
Il rentrera au Québec et fera également un grand saut vers Taïwan pour apprendre le mandarin. William visitera également Hong Kong.
En 2018, William séjourne au Japon, mais il continue également d’explorer le Québec (Tadoussac cette fois) et la région du Lac Champlain, dans l’État de New York. Il rend visite à ses grand-parents paternels en Floride et en profite pour découvrir Miami.
Malgré son goût pour les voyages, les rencontres linguistiques et interculturelles, il demeure fort attaché au Québec. Il a deux points d’ancrage forts : les Laurentides, où il a encore beaucoup d’amis d’enfance et de CÉGEP, et une partie de sa famille; et Esprit-Saint, la région d’origine de sa mère ou habitent toujours ses grand-parents maternels. William a un attachement très fort à cette terre, ce village, ses grand-parents.
« Esprit Saint, et la ferme dans le Bas-du-fleuve, c’est mes racines profondes… d’être sur la terre que mes arrières-grand-parents ont habité, c’est énorme. La famille, les ancêtres, c’est important pour moi. »
– William, Entretien, 2020
« C’est la maison que mon arrière-grand-père a bâti. Et eux, c’étaient des colons qui se sont fait donné le lot par le gouvernement…y ont payé trente piastres pour le lot. Y a fallu qu’ils défrichent, puis qu’ils se bâtissent une maison. Puis qu’ils fassent une famille. Le fait d’être ici … ça fait longtemps que ma famille a travaillé fort. »
– William, Entretien, 2020
« Je me sens heureux de venir ici, voir mes grand-parents, voir mes amis aussi. Mais c’est drôle, on dirait que j’ai hâte de partir aussi. Je ne suis pas rendu dans un point de ma vie oùu j’ai envie d’habiter quelque part. J’ai toujours envie de me promener. Je me sens de passage partout où je vais. Aussi quand je suis de retour au Québec. »
– William, Entretien, 2020
« C’est ma décision de partir, d’aller découvrir de nouveaux endroits. J’aime ça être dans un état de voyage, beaucoup plus que d’être dans une routine au Québec. »
– William, Entretien, 2020
William n’est pas le seul « voyageux» dans sa famille, il a un cousin avec le même style de vie.
Quand on demande à William « where’s home? », il répond premièrement, que bien sûr c’est le Québec – à cause de la langue, les gens. Mais « home », c’est aussi « n’importe où je me sens bien avec du monde que j’aime » (Entretien, 2020).
Ceci dit, il rêve un jour de fonder sa propre famille et de s’établir au Québec, à Esprit-Saint, peut-être, et exploiter une érablière sur la terre de ses arrière-grand-parents.